TRIBUNE. Oui, le nouvel homme fort du Burkina Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a la science infuse

TRIBUNE. Oui, le nouvel homme fort du Burkina Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a la science infuse

Le lundi 24 janvier dernier, le Burkina Faso a connu son huitième coup d’Etat en 62 ans d’indépendance. Le MPSR, (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration) présidé le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, a mis en effet fin aux fonctions du président élu Roch Marc Christian Kaboré, dissous l’Assemblée nationale et le gouvernement, suspendu la Constitution, avant de justifier son pronunciamiento  par « la dégradation continue de la situation sécuritaire, l’incapacité notoire du président Roch Marc Christian Kaboré d’unir les Burkinabè pour faire face efficacement à la situation et l’exaspération des différentes couches sociales de la Nation ». Quelques mois plus tôt, le nouvel homme fort du Burkina Fasso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, 41 ans, avait publié un livre, « Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ?» (Editions 3 colonnes), dans lequel il revient longuement sur les problématiques du terrorisme, cette « métastase » qui a envahi une bonne partie de l’Afrique de l’ouest. Eclairages et coups de griffe.

« Ayiwa » ! (C’est la forme contractée en dioula de « ayiwa n’aw ko ten » qui signifie littéralement «eh ! bien, si vous le dites ainsi ») A titré L’observateur paalga son édito de lundi dernier. Et pour cause : si le nouvel homme fort du Burkina Faso a estimé « que le retour de la sécurité et de la cohésion sociale valaient bien le sacrifice d’une tête présidentielle, eh bien », qu’il en soit ainsi. Pourvu « seulement que le lieutenant-colonel n’ait pas fait irruption sur la scène politique pour rien et que très rapidement on se rende compte que les résultats suivent »… Et le quotidien burkinabé d’ajouter : « Maintenant donc que la promo 92 a franchi…le Kadiogo, soutenu par une frange de la population qui a multiplié les déclarations et manifestations de soutien comme celles d’hier à la place de la Nation, on attend de la voir à l’œuvre pour la juger sur pièce, notamment sur le front de la lutte contre le terrorisme. Il faut en tout cas espérer pour les soldats et pour le Burkina, et puisqu’ils sont des spécialistes de l’art de la guerre et qu’ils ont maintenant tous les leviers du pouvoir pour agir, qu’ils engrangeront très rapidement des résultats probants sur le terrain. » (On adore le style teinté d’ironie ou du moins d’antiphrase du quotidien burkinabé).

Toutefois, même si le lieutenant-colonel Damiba a reçu les ex-membres du gouvernement précédent, on peut se poser les questions de savoir, dans la mesure où il a annoncé que l’ordre constitutionnel reviendrait « dans un délai raisonnable » (sic), quels sont la durée réelle et le visage de sa transition. « Six mois ? Un an ? Un quinquennat franc comme Assimi Goïta le réclame au Mali ? Un premier ministre civil ou en treillis ? Et avec quelle frange de la classe politique, et des OSC vont-ils gouverner alors même que ceux qui rêvaient d’un match retour depuis plus de sept ans savourent enfin leur revanche et sablent le champagne ? » Bien malin celui qui pourra y répondre.

Quoi qu’il en soit, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba est préoccupé par les questions de sécurité qu’il a abordées dans son livre, « Armées oust-africaines et terrorisme : réponses incertaines ? » Dès l’introduction, le ton est donné. Il s’agira d’un constat amer suivi d’une analyse. Style fluide - c’est un Essai, ma foi, bien écrit avec une méthodologie efficace, des subordonnées bien structurées -, l’auteur ne fait pas l’économie de mots pour pointer du doigt l’incapacité de ces armées à affronter le terrorisme. « La dépollution des refuges et l’asphyxie des opérateurs de la mouvance terroriste tant espérées ne sont pas toujours au rendez-vous. Ni les armées nationales, ni les coalitions multinationales ne parviennent à contenir et à annihiler le fondamentalisme islamiste et djihadiste dans cette partie du monde. Bien au contraire ; en faisant abstraction des batailles qui ont été remportées à certaines occasions… (…) Le phénomène de l’extrémisme violent connaît toujours des vents favorables et qu’il pourrait demeurer à vision humaine la majeure menace à laquelle il faudra résister et trouver la bonne approche, la bonne organisation, la bonne combinaison et les bons modes d’actions pour triompher. C’est pourquoi il nous est paru logique de nous interroger sur les faiblesses et les limites des efforts de nos armées en nous basant sur les lois de la science militaire. Quelles sont les défaillances conceptuelles ou de mise en œuvre qui handicapent notre combat contre la violence extrémiste ? », se demande-t-il à la page 112. Et de poursuivre, dans une tentative d’analyse quelque peu facile : « Les armées nationales subsahariennes sont en effet pour la plupart à un stade primaire et portent certaines tares rédhibitoires. En dehors de l’inadéquation des moyens logistiques parfois évoquée et les lacunes criardes en termes d’organisation, les forces de défense semblent être assez souvent frappées par une perte du goût de l’action. En plus des variations considérables dans la détermination à vaincre qui apparaissent quand les troupes traversent une mauvaise passe, les armées semblent avancer à tâtons sans une claire vision de la stratégie à adopter. (…) Même si des succès militaires ont été par moments obtenus, les schémas d’action et les logiques d’intervention mis en place pour répondre aux campagnes de terreur lancées par les salafistes dans la région, n’arrivent pas à rétablir la situation. Les mesures militaires de contre-terrorisme peinent à fonctionner efficacement pour des raisons inhérentes à la conception, à l’organisation et à la mise en œuvre. »

Le constat est sans aucun doute pertinent, mais il sombre aux fanges de la facilité langagière, voire du jugement de valeur (à son crédit, il le reconnait dans son livre). Car si « l’absence de capacités financières propres et le recours incessant à des financements internationaux compromettent l’opérationnalisation des structures conjointes qui n’ont d’existence véritable que lors des rencontres multilatérales périodiques où l’on ne cesse de ressasser les enjeux sécuritaires et les objectifs globaux sans être pratiquement en mesure de faire évoluer les choses sur le terrain », il oublie une réalité majeure : la majorité des pays africains confrontés au terrorisme sont pauvres. Ils sont obligés de demander de l’aide internationale. « Pendant que les États-Unis parviennent à supporter plusieurs milliers de milliards de dollars de dépenses contre le terrorisme en référence à l’ouvrage du prix Nobel d’économie Joseph STIGLITZ « Une guerre à 3 000 milliards de dollars », un pays comme le Tchad, après les premières semaines d’engagement au Mali en 2013 croulait déjà sous le poids de quatre-vingt-dix millions d’euros soit soixante-cinq milliards de FCFA », écrit-il. Sans blague ! Cette comparaison est pour le moins idiote. Les USA sont la première puissance ; la comparer au Tchad relève sinon d’une cécité assez cétacée, du moins d’une malhonnêteté intellectuelle.

Là où il a largement raison, en revanche, c’est sur la corruption, l’autre métastase. « Autant la mobilisation des capitaux se dresse comme un véritable enjeu, autant l’utilisation des fonds qui sont souvent consentis pour l’effort de guerre n’est pas toujours saine. Les problèmes récurrents de surfacturations, de commandes d’achat d’équipements non exécutées ou de passations illégales de marchés sont courants dans les pays en voie de développement. Les détournements de fonds et insuffisances liées à la gestion des budgets alloués au secteur de la défense, qui ont fait la une dans le premier trimestre de l’année 2020 au Niger après l’audit mené par l’inspection générale des armées, sont révélateurs de la gangrène. (Page 117)

La fin ne justifie pas n’importe quel moyen

C’est pour corriger toutes ces tares qu’il a passé la vitesse supérieure, en s’emparant des rênes de l’État. Mais la violence qui a entraîné la chute de Christian Marc Kaboré - contraint de rédiger sa lettre de démission -, constitue un énième coup d’Etat dont on sait par avance qu’il n’aura servi à rien… Un coup d’État, pour qu’il soit légitime, doit répondre à une nécessité existentielle. Au Congo-Brazzaville, un tel coup d’État eût été providentiel, donc immensément légitime, parce qu’un clan, et un seul, s’est accaparé le pays, y compris la poussière. Pas au Burkina Faso ! Non. Il est important de rappeler que la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso ne dépend pas que du Burkina Faso ; elle dépend de toute la sous-région, voire de la Communauté internationale. Il s’agit quand même d’un conflit entre la « civilisation » et la « barbarie », en évitant du mieux possible de franchir l’iconostase d’un manichéisme primaire. Le nouvel homme fort du Burkina, en dépit de sa science infuse sur la détermination et la manière de vaincre le terrorisme, en dépit de ce qu’il croit être un deus ex machina, n’aura pas plus de moyens politiques, militaires, financiers et, surtout, géopolitiques, que celui qu’il a éjecté. Sa prise de pouvoir découle de ses propres ambitions : cet acte a (définitivement ?) foré, émietté cet embryon démocratique qui se dessinait depuis 2014 au Burkina Faso. S’il est vrai que « ce qui rend une fin bonne c’est le chemin parcouru pour l’atteindre, sans renier l’idéal qu’elle incarne », la fin ne peut justifier n’importe quel moyen, non. Et que s’il existe un « combat juste », il n’autorise pas tout. C’est au nom du « combat juste » que Georges Bush fils avait décidé de disloquer l’Irak ; que Sarkozy a détruit la Lybie – pays pour lequel Sassou se bat depuis 11 ans…

Les brailleurs, ces îles sonnantes qui trouvent toujours à redire, pensent qu’une arme qui sert à défendre l’intégrité territoriale, ou la sécurité, ne peut être qu’une violence légitime. Soit ! Mais « aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention », dixit Saint-Exupéry dans Lettre à un otage. Et d’ajouter : « Je respecte celui qui parcourt une autre route, s’il peine vers la même étoile… » Une mise au point qui résonne comme un garde-fou contre l’utilisation du « combat juste » en faveur de toutes les aventures totalitaires. On sait ce qu’il se passe au Mali voisin : la junte au pouvoir qui se targuait elle aussi de restaurer la sécurité et de répondre ainsi aux désirs des populations, s’est vite muée en « aventure totalitaire » en réclamant quasiment un quinquennat pour la transition.

De toute évidence, le coup de force de Paul-Henri Sandaogo Damiba apparaît comme un pied de nez à la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), car à tout le moins « ce machin » n’effraie personne, pas même une mouche, surtout que le coup d’État au Burkina Faso intervient au lendemain de lourdes sanctions prises contre le Mali. De fait, se pose une question obsédante, tenaillante : quels lendemains pour le Burkina Faso ? C’est le wait and see. Néanmoins, on serait mal avisé d’attendre quelque chose de positif de la part du nouveau pouvoir burkinabé, parce qu’il ne dispose d’aucune marge manœuvre. Ce nouveau coup d’État va vite s’avérer un coup d’épée dans l’eau. Comme l’a écrit L’observateur paalga, « c’est la pire des solutions à notre problème sécuritaire dans la mesure où l’instabilité politique que cette nouvelle donne engendrera pourrait être pain bénit pour les terroristes. (…) D’ailleurs, si le chef suprême des armées a certainement une part de responsabilité dans la situation sécuritaire dans laquelle nous nous trouvons, il convient  de reconnaître que les forces de défense et de sécurité n’en sont pas moins coupables. Et ce coup de force est peut-être un moyen pour la soldatesque de battre sa coulpe sur la poitrine de l’Enfant de Tuiré ».

Sachant que les Burkinabé ne sont pas un peuple invertébré, apathique, ils retourneront vite leurs vestes, après qu’ils l’ont acclamé, quand ils se rendront compte d’une possible déviation caricaturale.

Bedel Baouna